Retours sur nos actions pour le 25 novembre 2023, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes
Création d’affiches et collages dans les rues de La Ciotat
Film documentaire et mythologie grecque …
Pour marquer la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, la CCU a organisé diverses initiatives :
Jeudi 16 novembre, atelier de créations d’affiches à La Boutique.
Vendredi 24 novembre, projection du film, J’irai crier sur vos murs, présenté par Charlotte Ricco, réalisatrice.
A l’issue de la projection et de l’échange, nous avons collé nos affiches sur les panneaux municipaux. Partez à leur recherche à travers la Ville … (dépêchez-vous, c’est une oeuvre éphémère qui risque d’être vite recouverte ..)
Retrouver ICI la vidéo réalisé par Alain Perrier pour Tout Visuel
Samedi 25 novembre, à 18 h à La Boutique, Françoise Donadieu a commencé son atelier de grec ancien par le récit du Rapt de Koré, pour bien montrer que les violences faites aux femmes, c’est une longue histoire ….
Le rapt de Koré
C’est l’histoire de Déméter et de Koré.
Déméter est la mère de Koré, terme que l’on peut traduire en tant que nom commun par jeune fille. Deux mots en grec désignent la jeune fille, koré qui insiste sur sa jeunesse et sur sa filiation (souvent par le nom du père) et parthénos qui dit à la fois sa virginité et le passage accompli de la puberté, ce qui la rend désormais disponible pour le mariage.
Dans le monde réel, la cité prend soin de ses parthénoi, du moins des plus riches, elles ont un rôle essentiel, après leur initiation, dans les cérémonies et les fêtes où elles se trouvent à égalité avec les garçons, elles sont éduquées dans des sanctuaires prestigieux par des prêtresses, avec « luxe et éclat », et font la fierté de leurs parents et de la cité qui leur rend hommage et les décrit comme Belles et Grandes.
C’est que la cité a besoin des garçons comme des filles pour assurer son avenir, les garçons seront guerriers et le filles seront mères.
Dans le mythe, l’exemple charmant de ce destin est incarné par Nausicaa, la fille du roi Alcinoos qui accueille Ulysse au terme de ses errances.
Nausicaa est allée au bord de la mer pour laver le linge de son trousseau sur le conseil d’Athéna. Elle joue et danse dans la prairie, au milieu des fleurs, avec des compagnes du même âge et découvre Ulysse rejeté par les vagues sur le rivage. En piteux état et à peu de chose près, nu.
Mais les jeunes filles ne sont pas craintives quand elles sont belles et grandes, et Ulysse sait lui parler, qui la compare à Artémis la déesse vierge et aussi à une belle pousse de palmier toute droite érigée.
Elle le conduit donc chez son père qui, dès qu’il connaît le nom de l’étranger, lui propose sa fille.
Nausicaa est éblouie et même si on ne lui demande pas son avis, elle dirait volontiers oui au héros qui a toutefois trente ans de plus qu’elle.
Mais Ulysse veut retrouver Pénélope, il s’en va et l’histoire ne dit pas à qui Nausicaa a été donnée.
Pas de violence dans cette histoire, juste l’image « idyllique » de ce qui est le destin possible de la parthenos dans la cité grecque, attirer les regards du mâle adulte par sa beauté et sa disponibilité, être livrée par le père, contre dot évidemment, à l’homme qui la réclame, quitter l’oikos (la maison) de ses parents pour vivre sa vie de femme et de mère dans le gynécée de son mari.
Destin que la parthenos, élevée dans cette attente et dans ce but, ne peut que souhaiter, d’autant que, si à l’âge de tous les dangers, au temps où sa beauté rayonne et qu’elle habite ce territoire indéterminé entre enfance et âge adulte, entre « sauvagerie » et « enfermement », elle était enlevée ou violée, elle mourrait symboliquement ou réellement par le suicide, car elle n’aurait plus de place dans la cité, pas même chez les hétaïres, compagnes de plaisir des hommes.
Mais l’histoire promise est celle de Koré, la fille de Déméter et de Zeus. Et, on ne sait pas vraiment pourquoi mais on peut s’interroger, celle-ci est pleine de bruit et de fureur.
Koré, comme Nausicaa, s’amuse au milieu d’une riche prairie avec ses compagnes, les Océanides.
Elle découvre soudain une plante qui, comme elle, s’épanouit dans toute sa splendeur de fleur nouvelle, c’est un narcisse ou un lys, en tout cas, son parfum est enivrant et Koré, enivrée, tend la main pour le cueillir.
À cet instant, la terre s’entrouvre, et Hadés, Seigneur de l’innombrable peuple des Enfers, paraît sur son char attelé de chevaux noirs, la saisit, l’emporte et la terre se referme sur eux.
« Il m’emporte sous terre dans son char doré/ Bien malgré moi, et j’ai poussé des cris de ma voix aiguë ! »
C’est le poète qui le dit et on ne peut mieux dire le non-consentement.
Effraction, prise de corps, arrachement au monde de l’enfance, à ses compagnes, au monde des vivants, à sa mère : scène d’une brutalité terrifiante qu’une peinture que l’on peut voir sur la tombe de Perséphone à Vergina en Macédoine, exprime avec un réalisme cru :
Hadés sur son char est barbu, échevelé, avec un faciès de brute, il semble jaillir de la paroi emporté par la vitesse de son véhicule, il tient sur ses genoux la jeune fille éperdue qu’il retient d’une main puissante alors qu’elle semble vouloir se jeter hors du char, tendant les bras vers un secours possible qui ne lui viendra pas. Une de ses compagnes plus bas lève le bras en signe de défense contre cette irruption de violence monstrueuse.
La suite est connue, Déméter va chercher sa fille, errant pendant dix jours implorante, désespérée.
Et enfin, Hélios, le Soleil qui voit tout, lui donne la clé de l’enlèvement.
Il ne le dit pas en ces mots, mais c’est un vrai complot et tout le monde est au courant, sauf elle : Zeus a décidé de donner sa fille à son frère Hadès, la Terre mère a fait pousser la fleur merveilleuse pour attirer Koré et il n’y a plus rien à faire. Car, elle est maintenant mariée au Seigneur des Enfers.
Déméter ne l’accepte pas, demande qu’on lui rende sa fille ; à la suite du refus de Zeus, elle décide de ne plus faire son boulot de déesse de la fertilité, de la fécondité et tout meurt sur la terre.
Les dieux s’inquiètent : si les hommes disparaissent, qui leur rendra un culte ?
Alors par l’intermédiaire d’Hermès, on négocie.
Koré ne peut abandonner l’oikos de son mari d’autant plus qu’il l’a forcée, je dis bien forcée, à manger un grain de grenade et que quiconque mange la nourriture des Enfers ne peut plus les quitter.
Alors, Zeus décide qu’elle vivra un tiers de sa vie sous terre avec son mari et ce sera l’hiver et deux tiers sur terre avec sa mère et ce sera le printemps et l’été.
Comment expliquer qu’un mythe destiné à justifier l’origine d’une pratique sacrée, ici, le mariage, un des fondements de la cité, puisse le représenter comme un rapt si violent et même s’il est implicite, comme un viol conjugal, et raconter aussi avec tant d’empathie le désespoir d’une mère privée de son enfant par le mariage ?
C’est que dans le mythe, la violence est le signe d’une affirmation de puissances terribles constitutives de la nature du cosmos, que Zeus le Père doit sans cesse équilibrer. Hadès, dans sa brutalité, représente d’abord un dieu très puissant, possiblement rival, potentiellement dangereux pour Zeus qui a été reconnu par les autres comme roi des dieux. Mais attention à la rébellion qui peut déchaîner des conflits destructeurs du cosmos lui-même. C’est pourquoi les dieux mâles s’entendent et comment mieux faire alliance qu’en donnant sa fille à celui qui menace ?
N’est-ce pas une leçon à méditer pour les hommes de la cité ?
Koré est soumise à une brutalité révoltante, mais elle est, en tant que parthénos, vouée à la soumission à l’homme qui sera son mari et à son père qui en décidera.
Il faut qu’elle soit prête à l’accepter, comme certaines vierges dans les récits mythologiques ou historiques sacrifient leur vie à la cité des hommes.
La violence d’Hadès est celle des héros, guerriers, chasseurs, prédateurs, qui, en Grèce, fonde le « topos » de l’homme viril, légitime à prendre sans consentement en raison de sa puissance sexuelle. Un archétype en quelque sorte qui hante peut-être encore l’inconscient collectif.
Et la mère doit accepter de laisser aller sa fille pour qu’elle passe, grâce à l’homme, dans l’âge adulte.
Tous les passages sont des effractions, des moments d’une grande violence et celui- là en particulier, chez les Grecs si préoccupés de la transition des filles vers l’univers des femmes. Car, il s’agit de « faire passer l’être féminin du monde de la nature et de la vie sauvage à celui de la culture ».
C’est-à-dire en d’autres termes, de domestiquer l’être féminin, de le dompter comme on monte un cheval sauvage.
Il y a de la peur derrière cette violence, peur de l’hystérie féminine si elle n’est pas régulée par l’union sexuelle avec un homme.
Hippocrate pensait que l’utérus était mobile et se baladait dans le corps féminin déclenchant de dangereux troubles et Platon que la matrice était « un animal qui désire ardemment engendrer des enfants.
Si elle reste stérile après la puberté, elle parcourt le corps et le jette dans des dangers extrêmes » C’est pour son bien donc qu’on la marie, souvent avec des hommes plus vieux qui sauront bien la normaliser.
Et d’ailleurs pourquoi Déméter en fait un tel drame ? Koré n’est-elle pas devenue Perséphone Despoina, la souveraine du royaume des morts, le royaume le plus riche qui soit. Hadès s’appelle Ploutos, c’est un ploutocrate !
Allez, mariez-vous, les filles, et vous serez souveraines … chez vous.
Heureusement, toute ressemblance avec des pratiques actuelles est impensable, il n’y a plus de char…