Réalisateur, acteur, inventeur du festival Jazz à Porquerolles, Frank Cassenti est mort à La Ciotat (Bouches-du-Rhône), vendredi 22 décembre, entouré des siens, des suites d’un cancer fulgurant. Né le 6 août 1945 à Rabat (Maroc), dans un milieu, comme on dit, modeste, il avait 78 ans. C’est à Alger, en 1962, qu’il devient contrebassiste.
A 17 ans, étudiant à Lille, il fréquente la mouvance anarcho-communiste. Il codirige le ciné-club de l’Union nationale des étudiants de France avec Michèle-Annie Mercier. Ensemble, ils réalisent, en 1968, leur premier court-métrage, Flash Parc, indirectement produit par Jean-Luc Godard et sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes. A cette époque, avec Chris Marker et quelques camarades, il élabore un projet simple : le cinéma comme outil de lutte et d’expérimentation.
En 1973, Frank Cassenti réalise son premier long-métrage, toujours avec Michèle-Annie Mercier, Salut, voleurs ! (avec Jacques Higelin, Jean-Luc Bideau, Claude Melki et Laszlo Szabo). L’Agression (1973), court-métrage de fiction inspiré du très réel meurtre d’un travailleur immigré, est interdit par la censure. Interdiction levée après une campagne de presse. Le film devient un manifeste pour les réseaux associatifs qui luttent contre le racisme et les violences fascistes.
Prix Jean Vigo en 1976
Avec le producteur Pascal Aubier (Les Films de la Commune), Frank Cassenti réalise L’Affiche rouge (avec des comédiens et des rescapés du groupe Manouchian), tourné à La Cartoucherie de Vincennes, Prix Jean Vigo, en 1976. Expédié par Antenne 2 à Cuba en 1978 avec Régis Debray, Cassenti propose un reportage vite déprogrammé par les « esthètes » à la direction de la chaîne, Jean-Pierre Elkabbach, Louis Bériot et Patrick Poivre d’Arvor. La protestation du cinéaste est publiée par Le Monde.
En 1978, il signe un lm épique, La Chanson de Roland, avec Alain Cuny, Pierre Clémenti et Laszlo
Szabo.
Cassenti rencontre Pierre Goldman, dont il veut adapter l’autobiographie, Souvenirs obscurs
d’un juif polonais né en France (Seuil, 1975). Après l’assassinat de Goldman par un commando
d’extrême droite, en septembre 1979, Cassenti réalise Aïnama, salsa pour Goldman, avec ses amis
musiciens antillais et sud-américains.
En 1981, Cassenti réalise Deuil en vingt-quatre heures, série pour Antenne 2 avec Richard Bohringer,
adaptation du roman de Vladimir Pozner qui évoque la débâcle de 1940. Prix de la critique, succès
public.
Mémoire de ses origines
Avec Lettre à Michel Petrucciani (1983) et Archie Shepp. Je suis jazz… c’est ma vie (1984), celle de Cassenti devient aussi le jazz. Retour en Afrique (1993), lmé au Sénégal et sur l’île de Gorée, d’où partaient les esclaves, précède la comédie musicale Black Ballad (1990), avec les chanteuses Dee Dee Bridgewater ou La Velle. Arte produit ses nombreux documentaires sur les gures-clés du jazz, de Dizzy Gillespie à Nina Simone, en passant par Miles Davis et Abbey Lincoln.
Au théâtre, il met en scène Mademoiselle Else, d’Arthur Schnitzler, en 1990, et Novecento, d’après
Alessandro Baricco (avec Jean-François Balmer), en 2001. Il tourne Le Testament d’un poète juif
assassiné, d’après le roman d’Elie Wiesel (1987, Michel Jonasz et Philippe Léotard à l’ache).
Avec Samuel Thiebaut, il fonde la société de production Oléo Films, en 2004. Pluie de documentaires
sur les chants zoulou, la musique gnawa avec Gnawa Music. Corps et âme (2010) et La Nuit de la
possession (tourné à Essaouira, en 2012), toute son œuvre toujours tournée vers «la rencontre de
l’autre» et la mémoire de ses origines (le Maroc)
Déterminé et festif
Œuvre immense, généreuse, qui se condense dans le «festival des musiciens» Jazz à Porquerolles (à
Hyères, dans le Var), qu’il crée, en 2002, avec Aldo Romano et Archie Shepp. Programmation insensée,
dessinateur maison (Jacek Wozniak), festival aussi déterminé que festif, tout à son image. Cassenti y
promenait sa silhouette élégante, sa classe de bassiste infatigablement actif, cet air de ne jamais s’en
faire, et ce léger sourire de vraie modestie.
Frank Cassenti en quelques dates
6 août 1945 Naissance à Rabat (Maroc)
1976 « L’Affiche rouge », prix Jean Vigo
1984 « Archie Shepp. Je suis jazz… c’est ma vie »
2002 Création du festival Jazz à Porquerolles (Hyères, dans le Var)
22 décembre 2023 Mort à La Ciotat (Bouches-du-Rhône)